AMANDE PECUNIAIRE, CACAO, CACAOYER ET CHOCOLAT BELGE Cacao
Le bon goût du vrai chocolat belge
La Belgique a une solide réputation internationale pour la qualité de son chocolat, et le Belge passe pour un fin connaisseur.
Cette bonne réputation s’émousse malheureusement au fil des années. La mondialisation du commerce, dans laquelle le chocolat représente un marché convoîté, a vu diverses enseignes légendaires du chocolat belge avalées dans de grands groupes transnationaux qui – rentabililité oblige – en garde le nom tout en vulgarisant – immédiatement ou progressivement – la qualité traditionnelle qui a fait sa réputation. Le marketing est sensé combler la perte de qualité inévitable en matraquant les consommateurs de slogans du genre « le bon goût du vrai chocolat belge ». Les grands holdings transnationaux, comme Campbell Soup, Kraft Jacobs Suchard (devenu Kraft Foods en 2000), Nestlé … ou Yildiz, ce ne sont pas des noms qui enthousiasment le public. On évite donc de les citer. Ils sont hélas omniprésents, et ce n’est pas nécessairement pour donner de nouvelles lettres de noblesse à notre tradition chocolatière.
![Cacao - A[1]..](wp-content/gallery/impblog/dyn002_original_430_600_pjpeg_2617294_19b7016394e0ad585f9b1e374c5a4f93.jpg)
«Poen, poen, wa wilde ghâ mîr hemmen»
Je ne résiste pas à cet intertitre en dialecte bruxellois, et j’en demande pardon à nos amis français, canadiens, suisses … et wallons. Comme c’est littéralement intraduisible, ce clin d’oeil s’adresse aux initiés du terroir (Oui, oui, aussi à toi et au Chelle, Marielle !). Pour les autres, cela devrait plus académiquement vouloir dire que le goût des pépites d’or est plus fort que celui des pépites de chocolat.
Lorsque l’Union européenne a avalisé l’utilisation de produits moins nobles que la fève de cacao dans la fabrication du chocolat, de petits producteurs belges ont spontanément continué à maintenir la qualité traditionnelle, malgré un nouveau cadre légal qui leur permettait d’utiliser de l’ « ersatz » de cacao.
Mais en peu d’années, le succès de ces petites et moyennes entreprises est devenu tel que leurs promoteurs – souvent familiaux au départ, et détenteurs d’un know-how envié et non-écrit – ont atteint plus vite que prévu le seuil de leur incompétence en matière de gestion d’entreprise, tout en devant faire face à des problèmes de recapitalisation pour s’accroître ou se maintenirsur le marché. Et comme Faust, ils vendent un à un leur âme au diable en acceptant des offres financières mirobolantes faites par de grands holdings en quête d’investissements de diversification dans la fabrication de petits produits alimentaires à haute valeur ajoutée.

Sur un air de Faust … exit la belgitude de Marcolini, bye bye Godiva
INTER
Illustration désolante toute récente : la reprise de Marcolini par Nestlé ! Jusqu’à quand le surdoué Pierre Marcolini – champion du monde de pâtisserie en 1995 – pourra-t-il imposer son savoir-faire inégalable à ses nouveaux partenaires financiers ? Le saît-il lui-même ? J’en doute un peu. En tant que consommateurs, il y a de quoi s’inquiéter …
Autre exemple des derniers jours, l’enseigne Godiva, déjà filiale du géant américain Campbell Soup depuis 1975 – ce qui n’est une garantie de qualité de luxe – vient d’être cédée au holding turc Yildiz pour … 850 millions de dollars !!! Qui y gagne ? En tout état de cause, pas le consommateur belge, ni la qualité du chocolat.
INTER

Consommation : neuf kilos par an et par belge
On prétend que le belge consomme en moyenne … 9 kg de chocolat par an. Avec mon son goût cyclique prononcé pour le chocolat noir (Eh bien quoi, c’est bourré de magnésium, non !?), je me situe certainement au dessus de cette moyenne; quant à Anne, si elle en consomme nettement moins … elle est particulièrement attentive à sa haute qualité, à tel point qu’en le goûtant, elle est capable d’identifier les variétés de cacao utilisées.
Les Forasteros sont les plus répandus et représentent environ 80% de la production mondiale. C’est le cacao basic, le moins apprécié des vrais connaisseurs.
Bien meilleure déjà est la variété Trinitario, qui représente environ 19% du cacao disponible sur le marché mondial. En fait, cette variété riche en matières grasses a été obtenue par hybridation entre le forastero, qualité standard, et le cacao haut de gamme dit criollo.
Le Criollo est rare, donc cher. Sa production ne dépasse pas 1% des fèves mises sur le marché.
Le fin du fin, pour les connaisseurs avertis, c’est le cacao vénézuélien désigné Caraque. Et il faut chercher loin, depuis longtemps, pour trouver un produit chocolaté qui en contienne encore. Fortunate few only !

Les pralines, joyaux de la chocolaterie belge depuis 1921
On ne peut parler longtemps du chocolat belge sans évoquer les belgian chocolates, les justement célèbres Pralines belges.
L’invention de ces irrésistibles bouchées fourrées revient incontestablement à la créativité du chocolatier Jean Neuhaus, qui les lança en 1921 en les baptisant pralines. Le succès est aussitôt éclatant.
Dans la foulée de Neuhaus, d’autres enseignes apparaîssent : Corné, Daskalidès, Godiva, Mary,Wittamer … et bien d’autres encore dont le nom ne me reviens pas immédiatement à l’esprit.

Y a pas de cacao en Gaule belgique
Comment faire du chocolat sans cacao ? La Belgique ne produit pas de cacao. Le cacaoyer (ou cacaotier, ont peut dire les deux !), l’arbuste qui produit les « cabosses » ou fruits dont on extrait le cacao, ne pousse que dans les pays subtropicaux. Il est originaire de l’Amérique centrale et du Sud.
Pourtant, deux raisons (au moins) expliquent cet ancrage belge du chocolat de qualité.
1. La première est que la cacao a été introduit en Europe via l’Espagne, à une époque où un Habsbourg, gantois de naissance comme chacun sait, régnait sur ce pays : el rey Carlos Primero (r. 1517-1556), le même que Charles-Quint (°1500-†1558). Comme l’empereur Charles-Quint était aussi le « prince naturel » des 17 Provinces de Par-deça (et donc aussi duc de Brabant, comte de Flandre et de Hainaut, comte de Namur, seigneur de Malines etc., etc.), les échanges commerciaux entre les différents États qui formaient son empire si vaste que « le soleil ne s’y couchait jamais » étaient intensifs, réguliers et bien organisés pour l’époque.
2. Une deuxième raison de l’ancrage belge, c’est l’aventure hors du commun d’un petit pays lancé par son plus ambitieux monarque constitutionnel (Léopold II, r. 1865-1909 ) dans la course coloniale réservée normalement aux grandes puissances. Les Belges colonisent le Congo, un territoire 80 fois plus grand que leur pays, immensément peuplé, et offrant de réelles possiblités de cultures exotiques, dont les produits sont de plus en plus prisés par la bourgeoisie occidentale. Dès le début du 20ème siècle, ils vont promouvoir la culture du cacao dans la région de Mayombé. En 1910 déjà, la production de fèves atteint 900 tonnes. C’est pas giga, mais jugé comme assez encourageant. Elle est exportée essentiellement vers la métropole, à des conditions concurrentielles, puisque exemptée de droits d’entrée. Un aubaine pour la prospérité des petites entreprises belges qui travaillent le chocolat.

Les Aztèques chipent le cacao aux Mayas, les conquistadors l’arrachent aux Aztèques, et les Grands d’Espagne le revendiquent comme aphrodisiaque de luxe
La culture du cacao a été développée par les Mayas, longtemps avant le début de notre ère. Certains, preuves archéologiques à l’appui. la font remonter à environ 2600 ans.
La civilisation maya avait rayonné en Mésoamérique pendant plus de trois millénaires et ce trouvait sur le déclin, lorsqu’au 14ème siècle, les Aztèques vinrent s’emparer de leurs villes et de leurs cultures.
Les Aztèques, peuple guerrier, reprirent à leur compte les méthodes de culture performantes des Mayas, peuple agraire. (Mayas signifie d’ailleurs « hommes du Maïs », une céréale qui – encore plus que la cacao – assura la prospérité de leur civilisation).
Le cacao étaient arrivé en Espagne au début du 16ème siècle, déchargé des galions que les conquistadors renvoyaient du Nouveau-Monde chargés de produits exotiques à destination de la métropole.
La réputation aphrodisiaque de la mystérieuse boisson chaude que les Aztèques appelaient «Xocoátl», circule sous le manteau parmi les aristocrates, et lui assure immédiatement un grand succès. (On comprend que, dans leur recherche de belle ardeur amoureuse, les hidalgos et les mantillas aient vite préféré le cacao à … la cantharide broyée !)
Menace pour le chocolat. L’Eglise s’en mêle parfois. Elle s’inquiètent de la banalisation ce « breuvage du diable » qui peut faire sombrer les âmes dans la fornication. Imaginez un peu le bordel si l’on permettait aux prêtres, aux moines et aux nonnes de s'adonner librement à ce type de consommation.
Rien n’arrêtera pourtant vraiment la vogue du chocolat, qui de l’Espagne, gagnera progressivement tout le monde occidental.

Christophe Colomb, premier découvreur occidental du cacao à son insu
C’est Christophe Colomb lui-même qui le premier – à l’occasion d’un 4ème voyage au Nouveau-Monde (1502-1504), va le découvrir
à l’occasion d’une brève incursion sur un côte de l’actuel Nicaragua et d’une rencontre avec les indigènes.
A la date du 30 juillet 1502, Colomb écrit dans son journal de bord : « Un long bateau emmené par vingt-cinq sauvages ramait à notre rencontre. Leur chef, installé sous un dais de paille, vint nous offrir des tissus, les objets de cuivre et des amandes qui leur servent de monnaie ».
Mais Colomb, qui a les idées ailleurs, dédaigne la boisson chaude, amère, et épicée qu’on lui tend, et n’imagine pas un instant l’intérêt économique que de ladite boisson allait réprésenter par la suite.

La fortune de Montezuma : 960.000 .000 de féves de cacao, sans compter l’or, l’argent et un harem
Dix-sept ans plus tard (1519), le conquistador Hernando Cortès, plus cupide que Colomb et beaucoup moins mystique, part à la conquête de l’empire des Aztèques, dans les Andes mexicaines, à la tête d’une grosse poignée d’aventuriers (700 hommes, dont une centaine de marins). Il dispose d’une cavalerie et de 14 pièces d’artillerie. Jamais auparavant, les Aztèques – peuple valeureux à la réputation guerrière – ne s’était laisser épouvanter. Mais cette fois, face aux chevaux et aux «machines à tonnerre » qu’ils n’ont jamais vus auparavant, ils sont éperdus et sans ardeur.
Après avoir essayé vainement de combattre Cortès, l’empereur Montezuma tente de se concilier avec l’envahisseur insolite en lui offrant des cadeaux somptueux, de l’or, de l’argent, une vingtaine de femmes ; mais il se réserve et cache soigneusement ses dizaines de millions de fèves de cacao, ce numéraire végétal bien plus précieux que tout le reste et qui semble miraculeusement ne pas attirer la convoitise du conquérant. Ouf !
Mais lors d’un festin donné en son honneur par Montezuma, Cortès boit le chocolat qui lui est présenté dans un gobelet d’or. Après l’avoir avalé avec la méfiance du vieux soudard qui craint qu’on l’empoissonne, il se sent bien, fort bien ! Il demande à la belle Malinche (= Malintzin, une princesse nahuatl), sa maîtresse indienne, quelles sont les vertus et le secret de préparation de ce breuvage amer si tonifiant. Sitôt renseigné, il entrevoit l’intérêt commercial qu’il pourrait en retirer.
Quelques années plus tard, il fait remettre des fèves de cacao et la recette des Aztèques à des religieux d’un monastère de la nouvelle ville d’Oaxaca. Et les bon moines, ont alors l’idée géniale d’adjoindre du sucre de canne et de la vanille à la préparation. Le chocolat, version européenne, était né !
L’ « Amande pécuniaire » des botanistes
Dans ces civilisation précolombiennes, la fève de cacao étaient utilisées comme une unité d’échange pour le commerce. Un tzontli valait 400 fèves, tandis que 20 tzontlis représentaient un xiquipilli, soit 8000 fèves, et ainsi de suite … par valeurs carrées de 20 (= numération vicésimale).
En raison de l’usage de sa fève comme moyen de payement, les premiers botanistes européens qui l’ont décrit, ont baptisé le cacaoyer «Amande pécuniaire», ou plus exactement en latin « Amygdala pecunaria ». Mais dès 1737, Carl von Linné a estimé devoir le rebaptiser en « Theobroma cacao », la plante des dieux, avant de l’introduire dans sa célèbre classification. Le mot « cacao » dérive des termes mayas « Cacu Haa ».
Dès le 16ème siècle et jusqu’à la fin du 19ème siècle, le cacao n’a pas servi à la fabrication des barres de chocolat, comme nous les connaissons aujourd’hui, mais bien à la préparation de cette boisson chaude « Xocoát » si jalousement prisée des Aztèques.
Ce n’est qu’à partir de 1847, dans la foulée de la révolution des techniques industrielles, que le chocolat deviendra un produit à manger plutôt qu’à boire.
Il n’empêche que les boissons chocolatées ont encore de beaux jours devant elles.
Les amis, je vous laisse ici … pour aller croquer une petit morceau de chocolat noir de l’Équateur dont je raffole ! Ensuite, je passe au potager, qui me réclame.
A bientôt,