Merci de votre intérêt pour les légumes oubliés et notre site internet. C'est vrai que le consommateur n'est pas gâté en légumes dans la grande distribution. Encore faut-il qu'il en prenne comparativement conscience et qu'il veuille sortir des "autoroutes à péage" de la consommation pour arpenter les sentiers d'une alimentation plus agréable, plus variée, plus saine et aussi plus durable . Serrons-nous la main et contribuons, chacun à notre manière, à changer progressivement les choses. Marre de la malbouffe !!!
Le témoignage qu'Anne et moi souhaitons vous apporter est celui de deux jardiniers amateurs, collectionneurs et cultivateurs de nombreuses variétés de légumes anciens. Face à un milieu naturel en péril, face à une biodiversité qui se perd avec une amplification géométrique, face au problème de la faim dans le monde – qui disons le en passant, n’est pas le résultat d’un capacité insuffisante à produire, mais bien d'une mauvaise répartition -, nous sommes soucieux de vous faire partager nos réflexions, nos expériences, nos connaissances et aussi … nos révoltes et nos espérances. Ni Anne ni moi n’avons un parcours professionnel qui aurait pu nous laisser supposer le moins du monde l’importance primordiale que nous allions attacher un jour à cultiver amoureusement nos potagers, à récolter nos légumes et préparer de petits plats sains et savoureux avec des ingrédients hors commerce. Pour mieux nous comprendre, il est peut-être utile de situer quelques notions :
· Biodiversité
En bref, la biodiversité c’est quoi ? La biodiversité, c’est l’ensemble de toutes les formes de vie présentes en même temps sur un support commun : le sol. Chaque sol est constitué :
1. d’une part, par un ensemble d’éléments chimiques et physique (eau, minéraux, lumière …) qui forment un biotope.
2. d’autre part, par une multitude d’organismes vivants (faune, flore, micro-organismes) qui vont s’installer évolutivement. Cette expression globale de vie, où la moindre cellule a un rôle à jouer, s’appelle biocénose.
Une biocénose + un biotope constituent ensemble un écosystème.
L’écosystème se développe évolutivement. Toutes les formes de vie qu’il contient – animale, végétale, bactérienne – s’y développent de manière dépendante entre elles. Chaque cellule vivante n’existe que dans des processus multiples d’interaction avec toutes les autres. Elle vit par les autres, pour les autres et avec les autres.
· Perte de biodiversité
L’emprise de l’activité humaine sur le milieu naturel – particulièrement son activité économique – s’amplifie géométriquement et a franchi en quelques décennies des seuils insoutenables de consommation des ressources naturelles. En refusant implicitement d’assumer ses liens de vassalité avec la nature, – c’est à dire en épuisant plus rapidement les ressources naturelles que la nature peut les reconstituer – l’homme s’engage dans une impasse et compromet inconsidérément les conditions de survie de sa propre espèce !!! Autrement dit, celle de ses propres enfants …
· La perte de biodiversité dans notre alimentation
Un premier constat : dans les ressources alimentaires potentielles que nous offre la nature, c’est une minuscule proportion de végétaux qui servent à notre nourriture.
Quelques chiffres :
1. Les spécialistes ont pourtant recencé plus de 80.000 plantes comestibles.
2. Sur ces 80.000 plantes comestibles, environ 7.000 ont été cultivées dans l’histoire de l’humanité.
3. Encore 150 sont effectivement cultivées : ( 0,1875 % !!! )
4. Et sur les 150 espèces cultivées, 15 espèces seulement produisent 90% de la nourriture.
5. Parmi ces 15 espèces, 3 seulement (le blé, le riz et le maïs) trustent les 2/3 de la production alimentaire.
Faut-il commenter de tels chiffres pour convenir de la fabuleuse biodiversité agroalimentaire dont nous pourrions disposer et l’abusive consommation que nous faisons de quelques rares espèces seulement ? Ces monocultures intensives sont fragiles et sensibles à des perturbations de l’environnement. En cas de problème (comme une épidémie), le risque est grand de voir ces cultures dévastées et provoquer ainsi des famines. Une culture plus extensive prenant en compte un grand nombre d’espèces permet de diminuer ce risque.Ce qui est aberrant, c’est que le nombre d’espèces cultivées, déjà presque insignifiant, s’est encore restreint de façon alarmante en quelques décennies.
· Les causes de la perte de biodiversité
Quelles sont les causes de cette perte de biodiversité alimentaire ? Dans les ouvrages spécialisés, on lit généralement des causes formulées approximativement comme suit :
- la dégradation et la perte des habitats
- l’introduction d’espèces étrangères
- les pollutions, dont le réchauffement de la planète et le trou dans la couche d’ozone sont les conséquences
- l'exploitation directe des espèces sauvages
Loin de moi l’idée de rejeter le bien-fondé de ce genre de formulations, somme toute fort théoriques, pour expliquer le recul de la biodiversité. Mais je voudrais vous faire découvrir ces causes d’une manière plus immédiatement sensible.
N’y allons pas par quatre chemins ! La cause principale et première de la perte de biodiversité, c’est l’homme lui-même, surtout l’homme considéré dans son activité économique. Cet homme là, cet « homo economicus », est la créature la plus directement nuisible à la Nature en général. Son emprise sur le milieu naturel est totalement déséquilibrée, insoutenable dans le temps. C’est paradoxal, si en considération de ce que je viens d'écrire plus haut à propos de la biocénose, il doit nécessairement exister un lien de vassalité entre l’homme et la Nature, à laquelle il appartient. Je le redis et j’insiste, c’est la condition de sa propre survie. Pour l’ « homo economicus » (j’emploie ces termes par ironie, dérision, mais aussi amertume), tout se raisonne en terme de rentabilité financière à court et à moyen terme. Quand il s’agit de produire des fruits et des légumes, les dirigeants de quelques grandes multinationales s’arrogent tous les moyens pour régenter à leur profit une agriculture mondialisée. Ces gens là n’éprouvent aucune émotion nostalgique lorsque l’on évoque les petits jardins potagers de leurs grands-parents. Pour ces chasseurs de gain par « rationalisation », si dans une gamme de légumes il existe 100 variétés différentes pour satisfaire une demande du marché, une seule devra être retenue pour la commercialisation : « la plus rentable ». Tant pis pour les 99 autres, pour leurs propriétés intrinsèques éventuellement supérieures. Au diable cette diversité. Et tant pis si, faute de semailles, leurs graines auront totalement disparus dans quelques années. Dans une telle logique, la disparition de variétés est inévitable.
· Deux mécanismes économiques de la perte de biodiversité : la « révolution verte » et la course aux OGM
1. La révolution ver te
Après la seconde guerre mondiale se met en place une système de production intensive, à hauts rendements accélérés, que l’on appelle conventionnellement la « Révolution Verte ». Pour esquisser cette Révolution verte, cinq gros traits suffisent :
- Monoculture
- Haut rendement
- Engrais chimiques
- Pesticides
- Mécanisation
Elle désigne le formidable bond technologique réalisé en agriculture pendant la période 1944-1970, suite aux progrès scientifiques et à la croissance économique de l’après-guerre. De nouvelles méthodes de culture sont apparues en même temps que de nouvelles variétés à haut rendement, notamment dans les céréales (je pense au blé, au maïs ou au riz). Les engrais minéraux, les produits phytosanitaires, la mécanisation, l’irrigation ont aussi contribué à ce changement radical. Cette révolution a bien eu pour conséquence un accroissement spectaculaire de la productivité agricole, et a sans doute permis d'éviter des famines catastrophiques, qui auraient été la conséquence naturelle d’un accroissement exponantiel sans précédent de la population mondiale depuis le début des années 1950. Mais cette « révolution » a aussi eu des conséquences beaucoup moins souhaitables, dont nous devons payer la note aujourd’hui . Non seulement, en l’espace temps de deux générations, une machiavélique « trinité » d’engrais chimiques NPK (Azote, Phosphore, Potassium …) a appauvri jusqu’à les anéantir d’immenses étendues de terres arables, mais a encore causé de profonds bouleversements culturels et sociaux, notamment (mais non exhaustivement) :
- exode rural massif
- déperdition du savoir traditionnel agricole
- elle a par ailleurs été justement accusée de contribuer à réduire la biodiversité et de placer les agriculteurs sous la dépendance de l'industrie agro-pharmaceutique
Le marché mondial des semences est, depuis les années ’50, un enjeu économique colossal. De gigantesques multinationales investissent dans la sélection naturelle des espèces végétales massivement commerçables, et les graines que nous trouvons dans nos jardineries sont le plus souvent des produits hybrides de première génération. (Ce sont eux que l’on appelle Hybride F1, des variétés de luxe sensées être superperformantes et résistantes aux maladies). Il ne faut pas se tromper de cible. L’hybridation, en soi, n’est pas forcément une nuisance. Elle est pratiquée par l’homme depuis des milliers d’années, comme l’attestent quelques figues fossiles découvertes l’année dernière sur un site néolithique israélien l’année dernière. Il s’agit de fruits d’une variété parthénocarpique (c’est à dire, qui se développe sans pollinisation et dont les graines sont stériles), impliquant donc nécessairement une intervention humaine il y a plus de 11.000 ans. (Cette découverte repousse d’ailleurs de plus d’un millénaire l’origine de l’agriculture dans l’histoire de l’humanité.)
Par contre, en utilisant des semences hybrides F1, telles celles que nous proposent aujourd’hui majoritairement le commerce spécialisé, le jardinier perd la possibilité de reproduire la variété qu’il a cultivée avec des graines de sa propre récolte. En effet, les graines d’une variétés F1, hybrides de première génération, si elles ne sont pas stériles, reproduisent de façon aléatoire les caractères de leurs lignées parentes. Ce qui donnerait, pour une même variété, des plants totalement différents. Les semences hybrides F1 sont chères, surtout pour les paysans des pays en voie de développement, et le cultivateur devra les racheter chaque année dans la filière commerciale, ce qui est bien entendu l’effet souhaité et organisé par les grands semenciers qui les produisent. Cet aspect, qui peut paraître accessoire chez nous, a pourtant profondément bouleversé – socialement et économiquement – la classe agraire de plusieurs pays en voie de développement, l’Inde notamment.
Plus fort encore dans la technique du « client captif »! Toujours pour obliger paysans et jardiniers à se réapprovisionner en semences dans le circuit commercial, les semenciers ont développé des brevets appelé sinistrement « Terminator » (il en existerait une soixantaine à ce jour), dont la particularité est de rendre stériles toutes les graines de la récolte. Il faut donc chaque fois « repasser à la caisse ».
2. La course aux OGM
Depuis les années 1980, un autre danger nous guette : en travaillant sur l’ADN, les chercheurs en biologie moléculaire ont mis au point des techniques autorisant la fabrication d’organismes génétiquement modifiés : les fameux OGM.
Le premier problème que posent les OGM est d’ordre éthique. En effet, la capacité de modifier et transférer du matériel génétique d’une variété à l’autre ne se limitent plus aux seules plantes entre elles. Le génie génétique permet de combiner en une seule nouvelle variété des caractères nouveaux provenant aussi bien de plantes, que d’animaux ou de micro-organismes. C’est ainsi que, par exemple, la recherche a pu produire en laboratoire des souris … fluorescentes !!!
Le second problème posé par les OGM est d’ordre sanitaire. En ce domaine, et sauf surprise scientifique, on serait bien en mal de prouver que les OGM pourraient nuire davantage à notre santé que les résidus de pesticides, les traces de dioxines et les additifs alimentaires que nous absorbons chaque jour à notre insu.
Le troisième problème posé par les OGM, et à mon avis le danger le plus grave et le plus réel, est celui de leur impact sur la biodiversité, notamment par le risque de diffusion de manière incontrôlable des gènes dont ils sont porteurs. A ce propos, un étude scientifique initiée par le gouvernement anglais, et s’étendant sur 5 années, a été rendue publique le 21 mars 2005. L’évaluation de l’impact des OGM (betterave, maïs, colza) résistants aux herbicides, a laissé un bilan sans appel : telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, la culture de variétés transgéniques conduit à un l’appauvrissement très significatif de la faune et de la flore.
Quant aux risques effectifs de dissémination des OGM, j’ajouterai que la même étude à pu constater des traces de pollen de plants génétiquement modifiés à plus de 300 km de leur point de culture. On est sidéré lorsque l'on sait qu'en France on voudrait séparer les cultures traditionnelles et les cultures transgéniques par une zone de 50 … mètres.
Il ne m'appartient pas de conclure dans le grand débat de société en cours sur les OGM. Mais je vis et j’agis selon mes convictions; et je puis vous assurer n’avoir jamais pu déceler un seul véritable avantage pour le consommateur dans la culture des OGM. Du reste, avec ou sans biotechnologies, les méthodes agroalimentaires dominantes et les plus profitables aujourd’hui – en dollars , bien entendu ! – mettent non seulement la planète en danger, mais nous « éduquent », que dis-je, nous « dressent », malgré nous à la malbouffe.
D’une manière générale, il faut bien constater que nos grandes filières commerciales d’approvisionnement agroalimentaire ne sont pas vraiment désireuses de nous offrir avant tout des produits sains et savoureux. La malbouffe est galopante, notre culture du goût fout le camp. Dans la consommation des légumes, il y a, depuis plus de cinquante ans, un conflit d’intérêt évident entre l’enjeu sanitaire et l’enjeu économique.
Nous en sommes là ! Le choix si réduit de légumes qui nous est proposé aujourd’hui, risque encore de se restreindre si nous ne réagissons pas en tant que consommateurs avertis. La demande crée l’offre, et les consommateurs – par des comportements responsables et solidaires – peuvent disposer d’un réel pouvoir collectif sur l’assortiment commercial.
· Que faire ? Comment réagir ?
Sachons résister ! Cherchons des approvisionnements alternatifs et de proximité pour notre alimentation. Ils existent. Une multitude de petites entreprises et d’initiatives sont nées ces dernières années, expression de la prise de conscience et du raz-le-bol des consommateurs. Elles sont des centaines de milliers dans le monde, et même si elles ne font pas le poids devant une petite dizaine de multinationales, savez-vous qu’en Belgique et en France notamment le marché des produits bio est revenu à plus de 30 % dans l’alimentation ?
· Une alternative en faveur de la biodiversité : la réhabilitation des potagers
Beaucoup d’entre nous possèdent un jardin. Face à la situation que nous dénonçons, et bien cela puisse paraître trop peu conventionnel à certains, il est parfaitement concevable de sacrifier un partie de cette pelouse que l’on doit entretenir chaque semaine et d’aménager un petit potager. De même, quelques arbres ou arbustes fruitiers ne peuvent-ils remplacer avantageusement quelques haies de conifères trop nombreux qui assèchent, épuisent et acidifient indûment le sol ? Quelques plants d’herbes aromatiques, de tomates ou de poivrons auraient-ils moins de charme sur votre terrasse que les traditionnels pétunias, géraniums et lierres ?
· La culture des légumes anciens
Quelques maîtres-cuisiniers, dont le sympathique Claude Pohlig, possèdent les meilleurs atouts pour vous faire apprécier les légumes anciens. Mais dites-vous bien que vous ne les trouverez pas dans les magasins. Et que pour en bénéficier vous pourriez même devoir apprendre à les cultiver vous-même, que ce soit dans votre propre potager ou dans celui d’un jardin commutaire.
Plusieurs jardins communautaires ont fait leur apparition en région bruxelloise ces dernières années. Si le jardinage vous motive et qu'il vous manque le terrain, vous pourriez utilement vous renseigner auprès de votre administration communale ou auprès de l’association BRAVVO. ("Bruxelles en avant – Brussel vooruit").
La culture biologique des légumes anciens n’a rien de compliqué. Le plus difficile, c’est de se procurer les graines. Des associations comme Kokopelli en France, Les Semailles en Belgique vous proposent un choix de graines et de tubercules de variétés anciennes de plus en plus appréciable.
La réussite de la culture de légumes nécessitent cependant quelques connaissances de bases, notamment :
– savoir faire un choix adapté de variétés,
– maîtriser les bases des techniques de semis,
– disposer d’un calendrier des mises en place,
– savoir à quelle époque et selon quelle méthode il faut pratiquer les récoltes,
– connaître les techniques de conservation,
– etc …
Certaines de ses connaissances se trouvent dans les livres, mais d’autres peuvent encore être utilement recueillies auprès de quelques jardiniers chevronnés, dont le savoir-faire et l’expérience sont tout un patrimoine. (Je pense bien sûr à Jean-Luc Muselle, Luc Fichot, Victor Renaud, Sébastien Verdière … et plusieurs autres, aussi compétents qu'anonymes.)
Enfin, il y a la pratique du jardinage. En répétant pendant des années, au rythme des saisons, la culture de variétés de légumes rustiques semblables, une observation personnelle attentive et une faculté de raisonner et d’agir empiriquement permet à chaque jardinier de développer ses propres « petits trucs », connaissances irremplaçables pour la réussite du potager spécifique qu’est le sien.