Cuisine des fleurs
Le pas-d'âne au menu printanier:
LE TUSSILAGE
Si quelqu'un aurait dû me dire – il y a une dizaine d'années encore – que le tussilage est non seulement comestible, mais également fort savoureux et très intéressant sur les plans diététique et médicinal, je crois bien que je me serais pointé le coin du front d'un index tournant en vrille, persuadé que mon interlocuteur aurait eu grand intérêt à se purger … à l'hellébore.
Ma rencontre de l'année dernière avec François Couplan, précédée de la lecture attentive de plusieurs de ses nombreux livres, m'aura permis de sortir des préjugés culturels, du conformisme lié à l'ignorance et de la banalisation alimentaire stupéfiante que les grandes filières vivrières imposent de facto aux consommateurs. Anne et moi éprouvons un indiscible bonheur à essayer de vous faire partager notre "fronde alimentaire", conduite au rythme des saisons à travers la biodiversité. Que d'ingrédients inattendus et curieux que le commerce ne nous propose pas ! En voici un nouvel exemple.
Le tussilage – beaucoup plus connu sous son nom populaire de "pas-d'âne" – est une plante sauvage dont les vertus sont connues et utilisées depuis l'Antiquité. Et sa principale propriété médicinale est révélée par l'éthymologie même de son nom, "tussis" signifiant "toux", et "agôgos", "qui combat".
Dès le mois de mars, ses petites fleurs jaunes – que certains confondent avec des pissenlits – sont si pressées de s'épanouir qu'elles ne prennent même pas le temps d'attendre la croissance du feuillage de la plante. Les feuilles n'apparaîtront qu'après la floraison, et seront également comestibles. C'est pourquoi on a qualifié aussi cette plante de file ante patrum, c'est-à dire "le fils avant le père".
La part de Théophraste
Sur le plan botanique, le tussilage (nom scientifique : Tussilago farfara) est une plante vivace qui appartient à la grande famille des astéracées (ou composées).
Le tussilage aime les sols argileux et calcaires, non tassés, humides, et se plaît particulièrement dans les sols argileux sur le bord des chemins, au flanc des talus et je l'ai spécialement observé en colonies importantes dans les interstices des falaises marneuses en France. (Pas vraiment l'endroit pour une récolte facile!).
C'est une plante vivace, dont la racine épaisse est aromatique.
Les tiges fleuries portent des écailles rougeâtres et un seul capitule.
Les fleurs du capitule sont de deux sortes: au centre, elles sont courtes, tubulaires, tandis que celles du pourtour restent fines, longues et étroites, formant un petit soleil. Elles sont très mellifères.
Les feuilles sont vert-gris dessus, cotonneuses et blanchâtres par dessous. Leur forme évoquerait l'empreinte du pas de l'âne, ce qui expliquerait son nom populaire. Pour ma part, j'ai beau contempler ces limbes foliaires au contour nettement polygonal, je n'arrive vraiment pas – même avec un gros effort d'imagination – à leur trouver la forme arrondie à l'avant d'un sabot d'âne. Plus vraisemblablement, ce nom populaire de "pas-d'âne" vient donc de ce que cette plante borde en abondance les sentiers, balisant de centaines de petites fleurs jaunes le chemin parcouru par le sympathique entêté aux grandes oreilles.
Les graines brunes (akènes) portent une aigrette argentée, longue, soyeuse qui permet au vent de les disséminer, à la manière de celles des pissenlits ou des épilobes.
La part d'Hippocrate
La fleur de tussilage fait partie des sept fleurs pectorales avec celles du bouillon blanc, du coquelicot, de la gnaphale (plus connue sous le nom de pied-de-chat, mais en inquiétante régression dans le territoire de la Flore), de la guimauve, de la mauve et de la violette odorante.
Elle contient beaucoup de mucilage, se qui lui confère des vertus calmantes, expectorantes et adoucissantes très efficaces contre la toux. Les feuilles et les racines rendent une saveur un peu amères avec d'excellentes propriétés sudorifiques. Au Moyen-âge, on utilisait la racine pour soigner la peste bubonique. Cette remédiation est à l'origine d'un autre nom populaire du tussilage : la "racine de peste".
La part de Lucullus
Et en cuisine ? Faites preuve d'audace, d'indépendance et d'originalité pour surprendre vos invités. La Nature n'est pas aussi ingrate que l'assortiment de votre verdurier, et de nombreuses fleurs ont une place parfaitement justifiée dans notre alimentation. Un peu de tout, c'est beaucoup mieux que beaucoup de presque rien.
Les fleurs – très mellifères – sont à nouveau appréciées crues dans les salades printanières (il faut les récolter fraîches et bien ouvertes, même si elles ont tendance à se refermer très vite après la cueillette).
Un simple salade de pomme de terre au vinaigre balsamique agrémentée avec des fleurs de tussilage est un délice qui surprend. Pour renforcer naturellement le goût, vous pouvez y ajouter quelques feuilles d'ail des ours ou d'alliaire, ces deux autres petits ingrédients plein de séduction goûteuse que le printemps met discrètement à la disposition des gourmets capables de les identifier dans la végétation renaissante.
Jadis, les jeunes feuilles du tussilage, étaient souvent préparées en beignets frits dans l'huile, de la même manière que je vous l'ai déjà indiqué pour celles de la consoude officinale, de la bourrache … ou des fleurs de sureau.
Les fleurs de tussilage sont nombreuses et faciles à trouver au mois d'avril et jusqu'en mai. Mais attention, veillez toujours à ne pas allez les récolter sur le bord des routes où dans des terrains pollués; il y a pleins d'autres endroits.
Bien chlorophyllement vôtre,
José